L’HISTOIRE DEVRAIT PASSER AUX AVEUX (MICHELET)
Qui ne connait pas la Shoah? Qui connait la Nakba?
Ces deux mots, le premier en Hébreu et le second en Arabe, sont traduits en Français par le terme «catastrophe». La Shoah représente le génocide de six millions de Juifs d’Europe perpétré par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale et qui est certainement la pire des tragédies humaines que le monde ait connue. La Nakba, peu connue du grand public, représente l’expulsion des Palestiniens de leur terre natale en 1947 et 1948 par les troupes sionistes.
L’historien israélien Elie Barnavi écrit dans son livre «Israël un portrait historique» (Flammarion 2015): «Pour choquant que cela puisse paraître, Hitler a été le levier le plus puissant dans l’édification de l’État juif».
A quoi fait donc allusion cet historien grand serviteur de l’État d’Israël (il a été ambassadeur d’Israël en France) en osant affirmer le rôle majeur du nazisme dans l’apparition, la création de son pays? Pour lui, le premier responsable du génocide des Juifs d’Europe est en même temps celui qui est la cause principale, le responsable de l’édification de leur pays d’accueil au Moyen Orient.
Pour renforcer le propos ci-dessus citons l’éminent historien israélien Tom Segev qui écrit dans son livre («Le Septième Million»): «Le génocide deviendrait plus tard le premier argument à l’appui de l’idée de la création de l’État d’Israël et de ses guerres de survie».
Catherine Nicault, dans les Cahiers de la Shoah 2002/1 confirme: «Sans le nazisme et la Shoah dans le rôle de catalyseur, d’accélérateur ou encore de levier, il est douteux que l’État d’Israël ait jamais vu le jour». Elle ajoute: «Ainsi, par son impact psychologique et moral, la Shoah a indéniablement ouvert la voie aux objectifs sionistes en Palestine».
Sans en être la cause unique, la Shoah a fortement déterminé l’avènement, la création de l’État d’Israël. Or, cet État, comme l’attestent plusieurs historiens israéliens (Morris, Pappé, Segev…) à partir des archives de leur pays, n’a pu voir le jour qu’en procédant à l’expulsion, l’expropriation et même le massacre de la population palestinienne.
Malgré le fait historique avéré, prouvé et vérifié de la Nakba, les sionistes, au pouvoir en Israël, le nient sans vergogne pour éviter de reconnaître leur responsabilité morale et juridique du nettoyage ethnique de la Palestine. Tous ceux qui traitent sérieusement ce sujet ne remettent plus en cause l’origine des réfugiés palestiniens qui sont aujourd’hui près de six millions et qui vivent dans des camps d’une manière très précaire. Ainsi, Uri Ram (sociologue, Professeur à l’université Ben Gourion) cité par G. Achcar dans son livre «Les Arabes et la Shoah» (Ed. Sindbad) avoue: «Israël est une société de colonialisme de peuplement à l’égale d’autres sociétés blanches européennes telles que l’Australie ou l’Afrique du Sud. Que l’expulsion des Palestiniens en 1948 ait été préméditée ou pas (la question du transfert) ou une conséquence involontaire de la guerre, Israël est largement responsable du problème des réfugiés. La conquête de la terre et du travail était un principe avoué du sionisme travailliste et sa suite logique est le délogement des Palestiniens et la discrimination à leur égard».
Toutes ces exactions se sont déroulées au su et au vu de la communauté internationale et surtout de l’ONU et des vainqueurs de la seconde guerre mondiale qui, sous le poids de la honte et de la culpabilité après la découverte de l’ampleur du génocide, n’ont pas estimé qu’il fallait intervenir pour éviter ce qui s’est avérée comme une tragédie supplémentaire d’un peuple qui n’était pas concerné par l’horrible drame subi par les Juifs européens. Cette sorte d’omerta face aux crimes sionistes contre les Palestiniens avait donc pour origine ce crime indicible commis par les nazis et que les Européens et les Américains avaient, pendant des années, minimisé ou nié. Bien sûr, d’autres motifs de ce laisser-faire animaient les diplomaties des grandes puissances (spécialement de l’URSS et des USA), mais le principal reste bien la recherche de l’expiation du péché que représente l’extermination des Juifs d’Europe.
De ce péché allait donc naître «le péché originel d’Israël» (titre d’un livre écrit par Dominique Vidal et Joseph Algazy) que les sionistes commettront avec l’aval implicite et le soutien des occidentaux; le soutien inconditionnel des Russes et des Français s’est matérialisé à travers une livraison massive d’armes aux sionistes qui s’est avérée déterminante pour l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948!
La Nakba est, à double titre, liée à l’Histoire des Juifs. En premier lieu elle a été perpétrée par les Juifs sionistes qui se veulent représenter tous les Juifs du monde bien que nombreux sont ceux qui le contestent. En second lieu la Nakba a été générée dans le sillage de la Shoah, qui a meurtri tous les Juifs (et pas seulement).
Présente dans la mémoire universelle, la Shoah a pris fin physiquement avec la défaite du régime nazi et son élimination. La Nakba continue aujourd’hui par la colonisation de tous les territoires palestiniens où les autochtones subissent ségrégation et nettoyage ethnique pratiqués dans l’impunité totale par l’armée israélienne.
Indéniablement, les histoires tragiques des peuples, israélien et palestinien sont profondément intriquées et liées.
Pourtant, les sionistes nient avec véhémence la réalité de la Nakba qu’ils ont contribuée à générer. Ce déni qui s’accompagne de la colonisation forcenée du territoire palestinien, représente certainement l’obstacle principal qui empêche de progresser vers une paix juste et équitable pour les deux parties.
Les sionistes ne voulant rien entendre, seule une forte pression ainsi que des sanctions de la communauté internationale pourraient les amener à prendre en considération cette histoire qu’ils partagent et qu’ils ont en commun avec les Palestiniens. Tant que leurs crimes, bien que souvent condamnés, resteront impunis, ils se sentiront à l’abri de représailles et encouragés à continuer leur politique colonialiste.
La Nakba se situe dans la continuité historique de la Shoah. Ces deux tragédies ne peuvent être séparées tant l’une est la conséquence de l’autre. L’originalité exceptionnelle de ces liens est qu’ils ont été tissés en grande partie par des victimes survivantes (ou leurs descendants et leurs coreligionnaires) de la Shoah transformées en bourreaux pendant la Nakba. Ce fait, qui n’est plus remis en cause sauf pour des raisons politiques, a été, pendant plus de trente ans après sa réalisation, nié, camouflé par les sionistes et surtout par les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale. En effet, comment avouer et accepter qu’après avoir soutenu la création d’Israël pour tenter d’expier les hideux crimes de la Shoah, cette tentative de sauver les consciences du monde «civilisé» a abouti à l’injustice que les sionistes allaient faire subir aux Palestiniens (qui eux n’avaient rien à voir avec le génocide des Juifs d’Europe). Mis à part les spécialistes de l’histoire du Moyen-Orient, peu de gens connaissent l’origine du problème des réfugiés palestiniens, qui a été très peu traitée, rapportée par la grande presse afin de ne pas répandre le scandale du «péché originel» de la création de l’État d’Israël. La journaliste américaine Dorothy Thompson (la plus célèbre de son époque) a bien essayé de dénoncer ce qui arrivait aux Palestiniens en 1947/1948, après avoir soutenu les sionistes: elle a été mise au ban de la société et a perdu ses mandats dans la presse populaire américaine…
Par la colonisation, la Terre Sainte a été transformée en en Terre de calvaire. Shoah et Nakba sont reliées par le lien indestructible de la souffrance humaine. C’est pourquoi, il est urgent d’établir entre ces deux peuples, qui savent ce qu’est la peur, la mort, l’expropriation, le désespoir, des liens de paix et d’amour quelle que soit la forme que cela prendra: un État, deux États…
Mai 2020, MokH