La contribution de la France au calvaire des Palestiniens
L’antisémitisme régnant en France à la fin du dix-neuvième siècle va entrainer des conséquences dramatiques au Proche-Orient dont pâtiront essentiellement les Palestiniens. Loin de se douter, de ce qui se tramait et qui allait bouleverser profondément et irrémédiablement leur vie, ils vont être les premiers concernés, à moyen terme, par une affaire qui a divisé la société française et y provoque encore aujourd’hui des remous et des discussions sans fin: l’affaire Dreyfus! Theodore Hertzl assiste, en tant que journaliste, au procès et à la dégradation injuste et infamante du capitaine. Il en est meurtri, lui qui croyait à l’assimilation des Juifs, spécialement en France où leur émancipation datait de la Révolution de 1789. Blessé, il va écrire un pamphlet qui constituera dorénavant la base théorique du sionisme politique où il expose que la seule solution pour lutter contre l’antisémitisme est que les Juifs soient réunis dans un pays qu’ils gouverneraient librement. Ainsi naît le sionisme politique, peu apprécié et même combattu par la majorité des Juifs européens à ses débuts mais qui finira par s’imposer et entrainera le malheur des Palestiniens. Comme l’a formulé Hannah Arendt dans son livre «Sur l’antisémitisme» à propos de l’affaire Dreyfus: «Sa seule conséquence visible fut la naissance du mouvement sioniste – seule réponse politique que les Juifs aient jamais trouvée à l’antisémitisme et seule idéologie qui ait tenu sérieusement compte d’une hostilité qui allait les placer au cœur des évènements mondiaux». Une autre «conséquence visible», non anticipée dans cette citation, sera le cataclysme humain et géographique encore d’actualité en Palestine.
La France, en développant un dense réseau confessionnel catholique, a été un acteur influent au Proche-Orient et s’était attribué le titre de gardienne des Lieux Saints de la Chrétienté, jusqu’au dé- but de la première guerre mondiale. Durant cette période, les premières colonies, non sionistes, vont être financées par le Baron Edmond de Rothschild. Complice de l’impérialisme britannique, elle s’associera à celui-ci, par l’accord Sykes-Picot, pour diviser arbitrairement le Proche-Orient qui en porte toujours les séquelles. Quelques mois avant la Déclaration Balfour, la France, par la lettre que signe Cambon (secrétaire général du ministère des affaires étrangères) adressée à Sokolov (dirigeant sioniste), va tenter de s’attirer les faveurs du mouvement sioniste en lui promettant de l’aider dans son entreprise de colonisation de la Palestine. Cela n’aura pas de suite puisque les Britanniques vont occuper militairement la Palestine en décembre 1917 et ainsi annihileront toute velléité de présence française sur ce territoire. Forte de liens tissés avec des groupes de résistants juifs pendant l’occupation allemande, la France va jouer un rôle majeur à la naissance de l’État sioniste jusqu’à la consolidation de sa puissance régionale prépondérante, en le soutenant diplomatiquement et militairement, au mépris de l’exode que les milices sionistes faisaient subir aux Palestiniens.
En 1946, la France va aider massivement les sionistes à organiser l’émigration clandestine de Juifs européens à destination de la Palestine (l’affaire de l’Exodus en est emblématique) en violation de la règlementation britannique qui tentait de limiter cette immigration, source d’affrontements violents sur place.
En novembre 1947, la France s’abstient en commission sur le vote de partage proposé par l’ONU. La pression américaine, menaçant de restreindre les financements du plan Marshal prévus pour la reconstruction du pays dévasté, ainsi que celle de politiciens français influents, dont Léon Blum, vont amener le gouvernement français à voter ce plan de partage en dépit des craintes et des réactions que cela allait engendrer dans les colonies d’Afrique du Nord.
Évincée du Proche-Orient par l’entente américano-britannique, la France va y revenir en apportant à l’État sioniste proclamé le 15 mai 1948, une aide militaire massive jusqu’à la fin des années 1960 alors qu’elle avait signé un accord avec les USA et le Royaume-Uni pour restreindre les livraisons d’armes dans la région. Il est indéniable que cette dotation en chars d’assaut et en avions de chasse a encouragé Israël à s’engager dans des guerres qui se sont avérées de conquête plutôt que défensives comme l’avait suggéré la propagande de ce pays et relayée en Occident.
Cet armement allait ancrer définitivement la suprématie militaire d’Israël dans la région bien avant que les USA ne prennent le relais des Français à la fin des années soixante. C’est l’époque où la France rééquilibre sa politique envers les pays arabes, sans remettre en cause l’État d’Israël. C’est aussi le moment où les USA vont considérer Israël comme un allié stratégique sûr (guerre froide oblige!) pour contrer les avancées soviétiques en Égypte, Syrie… qui, potentiellement, pouvaient mettre en péril l’exploitation du pétrole, vitale, pour les économies occidentales. Bien entendu, au sein de toutes ces considérations, le problème palestiniens était perçu comme négligeable et sans importance alors que des millions de gens s’entassaient dans des camps de réfugiés sans espoir d’échapper un jour aux conditions inhumaines dans lesquelles ils étaient maintenus par les forces sionistes d’occupation surarmées…
Mais, la France, patrie des droits de l’homme, allait s’illustrer en montrant combien elle est peu soucieuse de leur application et n’en tient plus compte lorsqu’il s’agit de préserver ses intérêts d’État. Au début des années cinquante, une coopération technique intense dans le domaine de l’énergie nucléaire va se développer avec Israël qui a récupéré des chercheurs juifs ayant participé au programme nucléaire américain de mise au point de la première bombe atomique! Cette coopération aboutira à la construction de la centrale de Dimona, dans le désert du Néguev, financée par une vingtaine de milliardaires américains. Comme le rapporte Philippe Simonnot dans son livre «Le siècle Balfour» (p.175): «Le chantage nucléaire israélien avait commencé. Il ne cessera plus jusqu’à aujourd’hui». Ce formidable avantage stratégique que la France a apporté à l’État sioniste explique en grande partie son attitude arrogante et son irrespect de la loi internationale qui aurait pu protéger les Palestiniens des abus dont ils pâtissent.
Révélations, enseignements, histoire et actualité
Depuis la Déclaration Balfour de 1917 jusqu’au plan Trump de 2020, une constante déterminante est adoptée par toutes les puissances qui ont intervenu au Proche-Orient: le mépris, le déni des Palestiniens en tant que peuple et donc, de leur droit à l’autodétermination.
Malgré la durée et l’ampleur des exactions qu’ils subissent, que condamne le droit international, l’attitude commune de ces puissances est de ne rien entreprendre, concrètement, contre l’État voyou pour qu’il cesse ses crimes (colonisation illégale, destruction de demeures familiales, déplacements forcés, emprisonnements sans jugement…). Un exemple très représentatif de ces crimes, s’est réalisé en 2018/2019: le monde entier assiste (grâce en particulier à la vidéo) à des crimes en direct de Palestiniens de tout âge, perpétrés par des tueurs d’élite israéliens qui tirent sur les manifestants, à l’intérieur de la bande de Gaza. Ceux-ci demandent que leur droit à retourner sur les terres d’où leurs aïeux ont été expulsés, soit enfin reconnu et appliqué et que le blocus instauré par l’État sioniste soit levé. Malgré des centaines de morts et des milliers de blessés graves, la communauté internationale laisse faire, impassible, en attendant les résultats d’une enquête de la Cour de justice Internationale…
Ce tour d’horizon, rapide et incomplet, a l’avantage de nous éclairer sur quelques causes de l’injustice dont le monde est responsable en Palestine: le manque, le refus d’intervention des puissances et la coopération économique, souvent militaire (c’est le cas de la Suisse par exemple) représentent des encouragements à l’État sioniste pour continuer sa colonisation prédatrice tout en étant assuré qu’il ne risque aucune sanction.
À qui incombe la responsabilité du malheur d’un peuple de plus de dix millions de personnes survivant majoritairement dans des camps de réfugiés? De qui les Palestiniens doivent-ils exiger des réparations? À ceux qui ont détruit leur vie en les privant de leur terre, ou à ceux qui les ont aidés et qui les aident encore à le faire? Pour nous aider à tenter de répondre à ces questions faisons appel à une déclaration de David Ben Gourion, le leader sioniste le plus connu: «Ne nous cachons pas la vérité… Politiquement nous sommes les agresseurs et ils se défendent. Ce pays est le leur, parce qu’ils y habitent, alors que nous venons nous y installer et de leur point de vue nous voulons les chasser de leur propre pays. Derrière le terrorisme (des Arabes), il y a un mouvement qui, bien que primitif, n’est pas dénué d’idéalisme et d’auto-sacrifice.» (cité par Simha Flapan dans «Le sionisme et les Palestiniens»).
H.Mokrani, le 24.04.2020