L’histoire devrait passer aux aveux(MICHELET)
Cet évènement qui n’est relaté que dans quelques livres d’histoire spécialisés, est pourtant une des clés essentielles illustrant l’idéologie sioniste, ses méthodes d’action et l’influence qu’elle exerce sur le monde depuis plus de cent ans.
Très rapidement, quelques mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir (le 30 Janvier 1933) et malgré un antagonisme profond entre les deux parties, nazis et sionistes aboutissent à un pacte en août 1933, signé par des hauts fonctionnaires représentant les ministères des affaires étrangères et de l’économie du troisième Reich et des délégués du Yichouv (l’implantation sioniste en Palestine), membres de l’Agence juive qui a repris la main sur les discussions avec les nazis après qu’elles ont été initialisées par Max Cohen(un homme d’affaires sioniste) auprès du consul allemand à Jérusalem. Ce dernier avait bien compris, étant donnée la situation économique précaire de l’Allemagne à cette époque, tout l’intérêt qu’avait son pays à aboutir rapidement à un accord avec les sionistes.
Par cet accord, les nazis consentent à ce que les candidats juifs allemands à l’émigration en Palestine, puissent y emporter des produits industriels ou agricoles fabriqués en Allemagne. Malgré la pression raciste qui les transformait en sous-citoyens, les juifs allemands restaient très attachés à leur culture germanique et avaient du mal à se résigner à émigrer. Le stratagème économique imaginé par les sionistes va les y encourager.
Cet arrangement satisfaisait les sionistes et les nazis quant au fondement de leurs idéologies. Les premiers récupéraient une partie du flux des émigrants que l’ostracisme nazi engendrait, pour les installer en Palestine; les seconds se débarrassaient de leurs citoyens juifs qu’ils ne voulaient plus voir vivre en Allemagne. Ainsi, le vœu de David Ben Gourion, qui souhaitait que la victoire nazie puisse devenir « une force fertile pour le sionisme »(1), était exaucé.
L’accord Haavara (de transfert en Hébreu), ainsi indiqué dans les documents officiels, va engendrer une profonde controverse dans le monde sioniste. Deux courants majeurs dominaient ce mouvement dans les années trente : la gauche, dirigée par Ben Gourion, et la droite révisionniste de Jabotinsky. Bien que leur objectif suprême était d’obtenir la Palestine pour créer un État Juif, leurs méthodes pour atteindre ce but commun se différenciaient par le pragmatisme des uns et la détermination volontariste et jusqu’au-boutiste des autres. Cela va se manifester lors de leur confrontation concernant l’accord Haavara. Les révisionnistes ont dénoncé vertement cet accord et estimaient qu’il fallait combattre sans merci le nazisme antisémite. Ce désaccord au sein du mouvement sioniste va se cristalliser dans le combat pour le boycott économique et diplomatique contre le nazisme lancé aux USA et en Grande Bretagne dés que les premières mesures ségrégationnistes furent annoncées contre les juifs allemands en mars 1933.
Le 24 mars 1933, le journal anglais « Daily Express » titrait sur cinq colonnes : « Judea declares war on Germany » (les Juifs déclarent la guerre à l’Allemagne). De nombreuses manifestations sont organisées aux USA et en Grande Bretagne pour dénoncer les nouvelles mesures antisémites des nazis. Le célèbre avocat new-yorkais, Samuel Untermeyer , va lancer un appel au boycott de l’Allemagne nazie dans le New York Times et créer à cette fin « La Ligue non sectaire anti-nazie » (2). À Londres, Lord Melchet prend la tête du mouvement anti-nazi et prône également le boycott(2). Aux États Unis, en Grande Bretagne, en France et dans de nombreux autres pays, des partis politiques, des centrales syndicales et des personnalités religieuses se rallient publiquement au boycott(2). Cette levée de bouclier internationale va profondément inquiéter les nazis qui, pour la contrer, vont mobiliser toutes leurs forces diplomatiques et faire aboutir le plus rapidement possible, l’accord de transfert Haavara avec les sionistes, sur les conseils appuyés de leur consul(Wolf) qui y voyait « une contribution à élargir la brèche déjà ouverte dans le boycott de l’Allemagne » (2).
Aucun gouvernement des grandes puissances ne soutiendra officiellement et pratiquement le boycott de l’Allemagne nazie! Au contraire, la situation économique désastreuse dans laquelle se trouvaient tous les pays après la grande crise de 1929, va pousser ces gouvernements à relancer la machine économique mondiale et en particulier celle de l’Allemagne qui devait rembourser ses dettes de guerre aux vainqueurs de la première guerre mondiale.
LES CONSÉQUENCES DE L’ACCORD DE TRANSFERT HAAVARA
Cet accord impliquait que les sionistes devaient empêcher l’application du boycott de l’Allemagne nazie. David Ben Gourion qui avait déclaré « rien ne m’intéresse que de sauver ces 500000 juifs d’Allemagne » (1) va s’y employer énergiquement; au cours du 18ième congrès sioniste du mois d’août 1933, l’accord Haavara est approuvé et surtout, le boycott, sans être dénoncé, ne sera pas organisé et donc, perdra peu à peu de son efficacité. Les nazis étaient soulagés. la menace qui pesait sur eux était levée; ils pouvaient ainsi continuer à accentuer la pression raciste sur leurs citoyens juifs (Lois de Nuremberg) et les inciter fortement au départ …vers la Palestine, à la grande satisfaction des sionistes. Mais quel a été le bilan de ce processus de transfert ?
De 1933 à 1939 prés de 50’000 Juifs allemands pourvus de moyens économiques importants(en Palestine on les appelait « capitalistes » à l’époque) vont aller irriguer la Palestine de par leur richesse financière et aussi par leurs connaissances techniques et culturelles. De nombreux témoignages(1,2,3) attestent qu’ils vont provoquer une amélioration notoire tant économique que culturelle de cette région encore peu développée .L’Agence Juive, au bord de l’asphyxie financière (les dons, surtout des USA, n’arrivent plus en cette période sinistrée après la catastrophe boursière de 1929) va s’en trouver revigorée et pouvoir continuer son œuvre de colonisation intensive de la Palestine.
Selon Philippe Simonnot(4) « Le résultat de la politique nazie d’émigration volontaire ou forcée était le suivant: sur les quelques 525’000 juifs que comptait l’Allemagne avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, 37’000 quitteront le pays en 1933; au cours des quatre années suivantes, le nombre annuel d’émigrants ne dépassera pas ce seuil (23’000 en 1934, 21’000 en 1935, 25’000 en 1936, 23’000 en 1937). En 1933, environ 73% des émigrants gagnèrent des pays de l’Europe de l’Ouest, 19% la Palestine, et 8% l’outre mer. A la fin de 1939 les juifs, en Allemagne, n’étaient plus que 190’000. Ces chiffres montrent que ni les nazis, ni les sionistes n’avaient réussi à atteindre leur but ultime commun; sur les 325’000 juifs que les Allemands avaient forcé à partir les sionistes en avaient dirigé prés de 15% en Palestine en utilisant l’accord de transfert Haavara . Sur le plan économique et humain, les sionistes consolident le Yishouv (l’implantation juive en Palestine) alors que les nazis peuvent relancer leur machine de production industrielle aidés en cela par la distribution de leurs produits au Moyen Orient à travers la Palestine. L’aspect le plus bénéfique pour les nazis de l’accord Haavara est assurément d’avoir pu contourner le boycott international et ses effets désastreux sur la population allemande qu’elle avait vécus pendant la guerre de 1914/18. Comme le souligne Henry Laurens(5) « L’Allemagne nazie s’est profondément sentie en danger. Les données objectives de son économie à cette date montrent sa profonde vulnérabilité ». Force est de constater que les sionistes, obnubilés par leur objectif essentiel de s’accaparer de la Palestine, ont signé un pacte avec le diable nazi en le renforçant alors qu’ils auraient pu contribuer à son affaiblissement en vue de l’anéantir. Le choix sioniste délibéré est bien illustré par la célèbre réflexion de David Ben Gourion(1) : « si j’avais su qu’il était possible de sauver tous les enfants d’Allemagne en les transportant en Angleterre mais seulement la moitié en les transportant en Palestine, j’aurais choisi la seconde solution ». Pourtant ,comme l’écrit l’historien israélien T.Segev ((1) « le boycott de l’Allemagne exprimait en réalité, une tentative de défendre les droits des Juifs partout où ils vivaient y compris en Allemagne Nazie ». Malgré certaines affirmations, souvent d’origine sioniste, la lutte à outrance et sans merci par le boycott contre le nazisme ne pouvait augmenter la souffrance des juifs allemands: ils étaient déjà soumis aux mesures racistes et discriminatoires du régime hitlérien et, instinctivement, avaient commencé à fuir le territoire allemand (bien avant la signature de l’accord Haavara), ce qui déplaisait aux sionistes car ceux-ci préféraient par idéologie, voir ces fuyards se diriger vers la Palestine afin de la coloniser et bénéficier de tous les importants avantages matériels consentis par les nazis à ceux qui acceptaient de s’y rendre. Henry Laurens(5) note pertinemment que « l’élément décisif dans la prise de décision (par les sionistes en signant l’accord Haavara) est le destin du foyer national juif et la constitution de l’État Juif .Le prix à payer est d’avoir brisé la seule tentative d’action collective contre le 3eme Reich au moment où il était vulnérable ». Personne, à l’époque, n’avait envisagé la catastrophe que le sabordage du boycott de l’Allemagne nazie (donc de la résurgence de sa puissance économico-militaire) allait contribuer à engendrer. Les dizaines de millions de morts durant la 2eme guerre mondiale et le génocide de six millions de Juifs d’Europe en sont les tragédies les plus marquantes.
La création d’Israël s’est réalisée mais le problème palestinien, toujours pas résolu, prouve que la justice ne peut se bâtir sur l’injustice.
Bibliographie
- Le septième million , Tom Segev , Edit Liana Levi
- La diplomatie du 3eme Reich et les Juifs, Eliahu Ben Elissar, Christian Bourgois Editeur
- Jewish Emigration from the Third Reich, Ingrid Weckert
- Philippe Simonnot, Le Siècle Balfour 1917-2017, Edit Pierre Guillaume De Roux
- La question de Palestine, Henry Laurens
- The Transfer Agreement, Edwin Black