Une décision historique de la Cour internationale de justice

Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud s’adresse à la Cour internationale de justice, l’organe judiciaire principal des Nations Unies, en accusant Israël de génocide. Pour être précis, elle affirme que « l’État d’Israël a manqué et continue de manquer aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide ».

Ce qui peut surprendre, c’est que la lointaine Afrique du Sud s’implique ainsi dans l’affaire israélo-palestinienne. Cela s’explique par le fait que la convention sur le génocide prévoit que tous les États parties (les membres de la convention) doivent veiller à ce que le génocide soit prévenu et puni où que ce soit (art. I). Toutes les parties ont donc qualité pour soumettre une requête à la Cour internationale de justice (art. IX).

Oui, mais pourquoi est-ce que ce n’est pas un État arabe qui a agi ? La réponse est tristement évidente : autant les populations arabes soutiennent les Palestiniens, autant leurs gouvernements sont serviles face aux États-Unis, lesquels se rangent de manière inconditionnelle du côté d’Israël.

La procédure engagée par l’Afrique du Sud est à double détente. D’une part, la Cour doit se prononcer sur le fond, ce qui implique une analyse approfondie des faits et des rapports de l’ONU et d’autres sources. Cela va prendre beaucoup de temps, au moins deux ou trois ans.

D’autre part, l’Afrique du Sud demande des mesures conservatoires, c’est-à-dire des mesures urgentes, notamment une suspension des opérations militaires israéliennes et la fin du blocus des biens nécessaires à la survie des Gazaouis (eau, nourriture, médicaments, etc.). Comme cette demande vient avant que la Cour n’ait eu le temps de se prononcer sur le fond, les juges se contentent de voir si le risque de génocide est plausible.

Le 26 janvier 2024, la Cour se prononce à ce sujet et sa décision fait sensation dans le monde : elle donne raison à l’Afrique du Sud et donc indirectement à la Palestine. Selon elle, l’accusation de génocide est effectivement crédible.

Parmi les 15 juges titulaires, une seule, Julia Sebutinde, d’Ouganda, se range du côté d’Israël. Les 14 autres, y compris la présidente, Joan Donoghue, des États-Unis, donnent raison à l’Afrique du Sud, et ces 14 personnes se prononcent en faveur de chacune des six mesures exigées par la Cour. Cela donne un poids considérable à l’ordonnance (il en irait tout autrement si 6 ou 7 juges manifestaient leur opposition).

Israël et la Palestine sont représentés par des juges ad hoc, nommés par leurs États respectifs pour les défendre dans les délibérations. Chose exceptionnelle, le juge israélien, Aharon Barak, vote contre son propre pays à deux occasions : en faveur de la fin du blocus des biens essentiels ; et pour l’instruction donnée à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide.

« Israël a l’obligation de respecter selon la Charte des Nations Unies (art. 94). »

L’ordonnance constitue une décision, c’est-à-dire quelque chose qu’Israël a l’obligation de respecter selon la Charte des Nations Unies (art. 94).

Tout indique néanmoins que le gouvernement israélien l’ignorera et que les États-Unis mettront au Conseil de sécurité leur veto à toute proposition de la faire respecter. Par contre, toutes sortes d’actions, y compris judiciaires, vont pouvoir être engagées dans beaucoup de pays sur la base de cette décision.

Cela a déjà commencé en Californie avec l’affaire Defense For Children International-Palestine v. Joseph R. Biden, où le juge fédéral Jeffrey White écrit le 31 janvier 2024 dans son arrêt que « comme l’a observé la CIJ, il est plausible que la conduite d’Israël représente un génocide. La présente Cour implore les défendeurs [le gouvernement des États-Unis] d’examiner les résultats de leur soutien sans faille au siège militaire contre les Palestiniens de Gaza.»

Ces prochaines années, la vie va donc probablement être compliquée pour Israël, mais aussi pour ses soutiens les plus zélés que sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France et la Suisse.

Dans sa décision, la Cour n’ordonne pas un cessez-le-feu, mais cela n’a rien d’étonnant : la procédure oppose l’Afrique du Sud à Israël, pas la Palestine à Israël. L’Afrique du Sud n’est pas concernée par ce point. En réalité, si la CIJ avait parlé de cessez-le-feu israélien, elle se serait trouvée sous un feu roulant de critiques. En droit, si ce n’est en logique, la cessation des hostilités ne peut être que générale (observée par tout le monde).

Pour le reste, la Cour dit qu’Israël doit prendre toutes les mesures qui sont en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte qui pourrait être génocidaire, et le gouvernement israélien doit veiller à ce que son armée agisse dans le même sens, ce qui court-circuite les excuses du genre « ils ont agi sans ordre ».

Les Israéliens doivent également permettre immédiatement la libre entrée et la distribution des biens de première nécessité dans la bande de Gaza. Or c’est impossible si les bombes pleuvent un peu partout. Cette exigence ressemble donc à une obligation de quasi-cessez-le-feu.

Entre parenthèses, cette affaire de blocus des biens fondamentaux pourrait bien être centrale dans le futur arrêt sur le fond de la Cour. Comment les actions d’Israël face à Gaza pourraient-elles échapper à l’accusation de génocide alors que le blocage de l’entrée de l’eau, de la nourriture et des médicaments a été ordonné explicitement et publiquement par les dirigeants israéliens ?

Quoi qu’il en soit, l’arrêt sur le fond de la Cour internationale de justice est attendu avec une grande impatience par toutes les personnes qui espèrent que le droit international n’est pas un déguisement du droit du plus fort.

Pierre Jaquet

N.B.: les documents concernés se trouvent en ligne sur le site de la Cour internationale de justice : https://www.icj-cij.org/.

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