«L’histoire devrait passer aux aveux» (Michelet)
Depuis plus d’un siècle, l’injustice règne en Palestine. Multiforme, d’origines diverses (politique, économique, religieuse…) elle accable le peuple palestinien qui, malgré tout, lui a fait face sous la forme d’une résistance violente mais de plus en plus pacifique aujourd’hui. D’où vient cet acharnement du sort contre un peuple qui n’aspirait qu’à vivre librement et en paix sur la terre de ses ancêtres ?
COLONISATION FORCENEE
Un élément déterminant de cette situation est la mise en application de l’idéologie sioniste en Palestine historique. Celle-ci, fondée pour l’essentiel sur les mythes bibliques du « Peuple élu » et de la « Terre promise » a su manipuler adroitement en sa faveur la conscience du monde occidental (profondément imprégné de culture biblique) à un moment très sensible où celui-ci découvrait l’ampleur inimaginable de l’horrible massacre des Juifs d’Europe, la Shoah. Habilement et avec opiniâtreté, les sionistes arriveront à faire entériner, par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, le but ultime de leur démarche idéologique : l’accaparement par la colonisation de la Palestine. Après avoir exclu violemment la majorité des autochtones (selon les historiens israéliens comme Beni Morris, Ilan Pappe…) à partir de la fin de l’année 1947, ils se rendent maîtres en 1948 de la terre convoitée pour créer l’Etat d’Israël. Ce faisant, ils allaient entacher leur triomphe, d’une manière indélébile, par un acte injustifiable politiquement et moralement : l’expulsion forcée de près de huit cent mille Palestiniens devenus en 2020 près de six millions de réfugiés apatrides à qui le régime sioniste israélien refuse tout espoir de retour sur la terre de leurs ancêtres d’où ils ont été arrachés : c’est la Nakba (catastrophe en Arabe).
UNE TERRE SANS HABITANT
Le sionisme politique, depuis Herzl son théoricien, n’a jamais caché qu’il ne tolèrerait pas, en Palestine, la présence d’un peuple concurrent, vivant conjointement avec le peuple juif, qui, pour cette idéologie, ne fait que revenir sur sa terre après un exil hypothétique de deux mille ans. L’utilisation mensongère, par les partisans de cette idéologie, de la formule « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » était pour eux la justification et la légitimation de leur acte de conquête coloniale. Le journaliste et écrivain israélien Ari Shavit, dans son livre « Ma Terre Promise, Israël, triomphe et tragédie » paru aux éditions Lattès en 2015 donne un aperçu précis de cet état d’esprit colonialiste, dans l’air du temps de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’au milieu du vingtième, en décrivant la première visite de son grand père Bentwish (un aristocrate Britannique) en Palestine : « En Palestine, en 1897, il y a plus d’un demi-million d’Arabes, de Bédouins et de Druzes. Ce territoire compte vingt villes et bourgades et une centaine de villages. Alors, comment se peut-il que Bentwish, toujours pointilleux ne les remarque pas ? Comment ce Juif Anglais aux yeux d’aigle ne voit-il pas du haut de la tour de Ramla que cette terre est occupée ? Qu’un autre peuple occupe la terre de ses ancêtres ». Le questionnement de Ari Shavit explique en grande partie pourquoi les sionistes se sont empressés depuis 1947/1948 à détruire, à faire disparaître les villages palestiniens et à effacer leurs noms des cartes géographiques. Pourtant, ces comportements et ces actes destructeurs visant à nier l’existence du peuple palestinien vont se heurter, dès les premières implantations coloniales, à une réalité que quelques sionistes constateront et essaieront, pour certains, de détourner en leur faveur.
QUI SONT LES HABITANTS VIVANT EN PALESTINE ?
Le premier d’entre eux, Israel Belkind (1861-1929) est un des fondateurs du mouvement Bilouïm dont les objectifs sont les mêmes que ceux du sionisme qui lui succèdera ; il s’installe en Palestine en 1882 où il fondera la première école enseignant l’Hébreu et élaborera l’hymne israélien Hatikva. Cet érudit, sioniste convaincu, écrira en 1928 en Hébreu le livre « Les Arabes en Eretz Israël » dans lequel il remarque : « Il a déjà été prouvé, par le Major Condor, que les Arabes d’Israël (Palestine) savaient l’Araméen, la langue des Juifs au moment de la conquête arabe ». Il ajoute, avec assurance : « Les historiens de notre temps ont l’habitude de raconter qu’après la destruction du Temple par Titus, les Juifs se dispersèrent dans tous les pays de l’univers et cessèrent de vivre dans leur pays. Mais là, nous nous heurtons à une erreur historique qu’il est nécessaire d’écarter pour rétablir la situation exacte des faits ». Il précise pour confirmer que « les travailleurs de la terre restèrent attachés à leur terroir …et qu’une bonne partie des fils de notre peuple constituant une partie intégrale de nous-même et la chair de notre chair sont les descendants des Juifs convertis à l’Islam après la conquête ». Les preuves de ces affirmations (rapportées par Shlomo Sand dans son livre « Comment le peuple juif fut inventé ») résident en particulier dans les noms des sites hébraïques conservés, alors que les noms grecs et romains ont été effacés. D’autre part, un certain nombre de sépultures sacrées pour les indigènes, furent utilisées en commun par les Juifs et les Musulmans. La langue arabe vernaculaire est entremêlée de vestiges de dialectes hébraïques et araméens. Les habitants (palestiniens) se considèrent comme musulmans ou fellahs (laboureurs), tandis qu’ils définissent les Bédouins comme Arabes selon S. Sand (p. 258).
Un peu plus tard, le sioniste marxiste Borokhov allait lui aussi défendre la thèse selon laquelle « les fellahs du pays d’Israël (Palestine) sont les descendants directs des vestiges de l’implantation juive et cananéenne avec un léger complément de sang arabe » (S. Sand p. 259).
Le plus surprenant, dans la confirmation de cette thèse historique démontrant les liens ancestraux de la population palestinienne, présente sans interruption depuis des millénaires, avec ses ascendants juifs après leur conversion du Judaïsme à l’Islam, est relaté par deux éminents sionistes : David Ben Gourion considéré comme le père fondateur de l’Etat d’Israël et qui sera son premier Premier Ministre, et Yitzhak Ben Zvi qui a été le second président de cet Etat. Ensemble, ils ont écrit en 1918 « Eretz Israël dans le passé et dans le présent » à l’intention des nombreux Juifs de New York fraîchement immigrés et s`exprimant essentiellement en Yiddish. C’est pourquoi ce livre d’abord écrit en Hébreu a rapidement été traduit en Yiddish. Jusqu’à présent il n’a été traduit dans aucune autre langue ! Le but essentiel recherché par les deux jeunes chercheurs était de persuader les Juifs New-Yorkais du bien-fondé de la démarche sioniste : les Juifs retournaient en Palestine où la population autochtone est en grande partie d’origine juive bien qu’elle ait été majoritairement islamisée. Il fallait utiliser des arguments très convaincants historiquement pour gagner le soutien de la très riche et très nombreuse communauté juive de la plus grande ville du monde de cette époque. Comme l’indique S. Sand « les deux auteurs mettent en évidence à partir d’une recherche reposant sur une dizaine de milliers de noms que « tous les villages, les fleuves, les sources d’eau, les ruines, les vallées, les montagnes et les collines de Dan à Beer Sheva prouvent que la structure des concepts bibliques d’Eretz Israël s’était conservée dans sa vitalité ancienne dans la bouche des fellahs (laboureurs palestiniens) ». Pour eux, il ne fait aucun doute que les fellahs palestiniens sont bien, dans leur grande majorité, les descendants des cultivateurs juifs convertis à l’Islam par la force ou l’intérêt économique (impôts amoindris). Ils s’appuyaient sur un travail minutieux de préparation et les données statistiques ainsi que l’appareil bibliographique joint étaient assez impressionnants ». Cela explique le grand succès de ce livre en son temps. Yitzhak Ben Zvi dans une brochure en Hébreu parue en 1929 intitulée « Notre population dans le pays » va préciser ses convictions en indiquant que « l’origine de la plupart des fellahs ne remonte pas aux conquérants arabes mais bien avant eux, aux fellahs juifs qui peuplaient majoritairement le pays avant la conquête de l’Islam ». Relevés par deux personnalités qui ont passé leur vie à œuvrer farouchement pour la création de l’Etat d’Israël, ces éléments historiques, aujourd’hui volontairement ensevelis donc peu connus du grand public, sont captivants et interrogent sur le fait qu’ils n’ont pas été diffusés. D’un autre côté, il est trivial d’affirmer que la population palestinienne a pour origine la souche juive en place à l’arrivée de l’Islam et qu’elle s’y est convertie au fil du temps. Après tout, les Gaulois se sont convertis au christianisme et personne ne remet en cause leur origine celte ou autre qui constitue une des souches ethniques originelles du peuple aujourd’hui dénommé Français.
D’autres sources en hébreu ou en anglais abondent pour étayer la thèse de la continuité ethnique entre laboureurs juifs et fellahs palestiniens. L’industriel israélien du logiciel, devenu historien, Tsvi Misinaï, travaille sans relâche à la démonstration de cette thèse qu’il a exposée dans son livre en anglais « L’engagement ». Pour lui, quatre-vingt-dix pour cent des Palestiniens ont des origines juives, et cinquante pour cent d’entre eux le savent.
FALSIFICATION DE L’HISTOIRE PAR LES SIONISTES
Les sionistes, qui avaient défendu la thèse présentant les Palestiniens comme les descendants des Juifs anciens, espéraient qu’ainsi, les autochtones de Palestine forts de ce lien ancestral avec les nouveaux arrivants sur leur terre, allaient les accueillir « les bras ouverts ». Or, ces autochtones se sont vite rendu compte de la menace colonialiste que faisait peser sur eux, l’arrivée de plus en plus massive de ces juifs européens guidés par l’idéologie sioniste. C’est ainsi que s’expliquent, en partie, les grandes révoltes palestiniennes de 1929 et de 1936 à 1939 réprimées férocement par l’occupant britannique assisté de la Haganah. Les sionistes vont alors réfuter et mettre de côté les caractéristiques historiques du peuple palestinien pour s’en tenir aux fondements de leur idéologie : les Palestiniens sont étrangers à la terre de Palestine et surtout ils n’existent pas sur cette terre vide d’habitant qu’il faut faire revivre… Les contradictions flagrantes de ces mythes fabriqués par la propagande sioniste, n’allaient pas empêcher le déroulement impitoyable du cours de l’histoire au détriment des Palestiniens. Cependant, comme l’écrit Joseph Massad dans son livre « La persistance de la question palestinienne » : « Il est ironique et particulièrement scandaleux pour le sionisme de découvrir que le jeune David Ben Gourion postulait, dès 1918, que les paysans palestiniens étaient les authentiques descendants des Juifs restés en Palestine et qu’en dépit de la conquête islamique, ces paysans avaient maintenu les traditions de leurs ancêtres hébreux notamment, en conservant le nom de leurs villages ».
Ce qui précède explique en grande partie pourquoi la politique du gouvernement sioniste israélien consiste, encore aujourd’hui et depuis l’avènement de son idéologie mortifère, à nier l’existence du peuple palestinien et à détruire toutes les preuves qui vont à l’encontre de ces affirmations. Pour lutter contre cette tentative d’effacer l’histoire véritable de cette contrée, une ONG israélienne (Decolonizer) s’emploie à faire l’inventaire des vestiges existentiels de ce peuple menacé de nettoyage ethnique. Villages détruits, population déplacée, effacement des noms de lieu, politique d’apartheid… caractérisent cette tentative de faire disparaître un peuple témoin de l’aventure de l’humanité.
Ce qui apparaît particulièrement odieux et injuste dans le traitement des Palestiniens par les sionistes, réside dans l’argumentaire que ces derniers utilisent pour justifier leur colonisation, lorsqu’ils prétendent revenir sur leur terre d’où ils seraient originaires après l’avoir quittée, il y a deux mille ans. En admettant cela (alors que les Ashkénazes sont issus en partie des Khazars convertis au judaïsme et que les Sépharades ont pour ascendants les Berbères d’Afrique du Nord[i]) force est de constater qu’ils viennent à la rencontre et rejoignent ceux qui sont demeurés sur place pendant plus de deux mille ans, « leurs frères » sans équivoque ! Inévitablement le désir de retour des uns va se heurter frontalement à la volonté de continuer à vivre sur place des autres puisqu’il s’agit d’occuper la même terre. C’est la première fois dans l’histoire qu’un groupe humain, aveuglé par ses prétentions colonialistes (mais motivé par les atrocités racistes qu’il subit dans les pays européens où il réside) s’en prend à une population au nom d’une origine qui leur est commune mais que cette histoire met en question.
SIONISME FRATRICIDE
David Ben Gourion qui a passé toute sa vie à lutter pour édifier l’Etat d’Israël a écrit ce livre où il montrait avec son compagnon de lutte Yitshak Ben Zvi que les Palestiniens avaient pour la plupart des origines juives. Cela explique la déclaration qu’il fait devant une commission britannique en 1937 : « Tous les habitants de la terre d’Israël sans distinction sont les fils de cette terre et ils ont dans le pays des droits égaux, non seulement en tant que citoyens mais en tant que fils de la terre qu’ils habitent »[ii]. Pourtant .il mènera d’une main de fer l’expulsion et la dépossession planifiées des Palestiniens transformés, en majorité, en réfugiés perpétuels dans des territoires jouxtant ceux de l’Etat d’Israël !
Après ce forfait, « L’œil n’est-il pas dans la tombe et regarde Ben Gourion ? » (Victor Hugo, La Conscience, poème qui relate l’histoire biblique des frères Abel et Caïn).
H.Mokrani, Décembre 2020
[i] Marc Ferro, Les tabous de l’histoire, Nil Eds 2002 ; Arthur Koestler, La treizième tribu, Edit. Tallandiers 2008 ; Julien Cohen-Lacassagne, Berbères Juifs, Edit. La Fabrique 2020
[ii] David Ben Gourion, Journal 1947-1948, Editions de la Matinière 2012