« L’Histoire devrait passer aux aveux (Michelet) »
Après trente années d’existence (depuis 1948) l’Etat sioniste israélien a ouvert ses archives. Cela a permis à un petit nombre d’historiens universitaires de les consulter avec minutie et un professionnalisme exemplaire. Cette revue de l’histoire contemporaine a encore une fois démontré que les vainqueurs de 1948 n’avaient pas dérogé à la règle qui veut que l’histoire relatée au lendemain de la création de leur Etat était essentiellement apologétique et nationaliste.
La nouvelle génération d’historiens, en découvrant les archives de leur pays vont rapidement en tirer une leçon qui allait remettre en cause toute l’histoire officielle qui s’était bien gardée de montrer que l’Etat israélien s’était bâti sur les décombres fumants de la Palestine historique. Les Palestiniens, dans leur grande majorité (prés de 800000), avaient été forcés à l’exode par la terreur et leurs biens confisqués sans autre forme de procès. Aujourd’hui, la preuve irréfutable vivante de ce nettoyage ethnique, ce sont les 5,7 Millions de réfugiés palestiniens qui croupissent dans des camps gérés par l’UNRWA (1)…sans espoir de voir la fin de leur calvaire qui dure depuis 1948 !
L’un de ces historiens qui ont dévoilé « le péché originel » de la fondation d’Israël est le professeur d’université Benny Morris. Ses livres (2) sont stupéfiants par les descriptions des détails et de l’ampleur des crimes commis par les sionistes à l’encontre de la population palestinienne durant les années 1947/1948.
C’est pourquoi, une question se pose : comment les sionistes ont pu cacher au monde , pendant plus de trente ans, la destruction de villes , villages , demeures , sans qu’il y ait eu de mobilisation pour empêcher cet anéantissement physique et culturel d’un peuple dont la seule faute était de vivre depuis des siècles sur une terre convoitée par le colonialisme sioniste qui se fondait, en vue de légitimer cette usurpation , sur le texte sacré de la Bible transformée pour ce faire en livre d’histoire universelle. Ainsi, Terre Sainte et Terre promise ont été confusément confondues.
Benny Morris, interviewé en 2004 par le journal israélien Haaretz qui cherchait à comprendre ce que ressentait l’historien après qu’il eut rapporté les méfaits des troupes sionistes pour débarrasser la Terre Sainte de ses habitants autochtones et qu’il était alors accusé par certains de ses lecteurs de porter atteinte à l’image et à l’honneur de son pays, allait donner une interprétation originale du résultat de ses recherches. Sans nier ni remettre en question ses écrits, cet éminent historien expose un point de vue troublant pour un universitaire de réputation mondiale. Pour lui les sionistes n’avaient pas pu faire autrement au moment des faits perpétrés contre les Palestiniens. Tous les massacres, les viols, les expulsions avaient été nécessaires afin de pouvoir créer « l’Etat des Juifs » tel que le préconisait l’idéologie de T. Herzl qu’il avait adoptée. D’une manière impitoyable, il précise. « Un Etat Juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700000 Palestiniens. Par conséquent il était nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population ». Ces propos, d’une froideur inouïe, aux relents racistes et colonialistes, nous ramènent à l’époque triomphante de la colonisation il y a deux ou trois siècles. Pour tenter de justifier l’extrême rigueur des atrocités commises par les troupes sionistes, Benny Morris explique sans sourciller : « C’est un monde (l’Islam) dans lequel la vie humaine n’a pas la même valeur qu’elle a en Occident ». Le mot est lâché : les Palestiniens sont inférieurs humainement et culturellement aux Israéliens, leurs colonisateurs, leurs dominateurs! Par ces funestes propos l’historien Morris s’est effacé, remplacé par le dogmatiste sioniste dont l’idéologie politique remplace toute autre valeur humaine, éthique ou morale. Dans ce rôle pour légitimer la catastrophe palestinienne provoquée en 1947/48 par les sionistes, Benny Morris représente le prototype de cette société israélienne transformée, fourvoyée par la doctrine sioniste conquérante issue du triomphe de la force militaire depuis 1967.L’une des manifestations de ce nouveau comportement au sein de la société israélienne est la quasi absence d’empathie, notée par différents observateurs envers ceux qu’elle a soumis et brisé par la domination brutalement imposée.
En 2020, Sylvain Cypel qui a vécu en Israël plusieurs années comme correspondant du journal Le Monde va écrire un essai(3) dont le titre « L’ETAT D’ISRAËL CONTRE LES JUIFS » annonce un profond paradoxe qui mine la société israélienne. Il y décrit comment la seule utilisation de la force est devenue, pour l’ethnie majoritaire dans ce pays, la justification assumée de toutes les mesures prises contre les Palestiniens au mépris (également assumé) de la loi internationale ou de toute morale communément admise (par exemple, en emprisonnant des enfants sans jugement). Pour donner une idée de ce que ce livre nous apprend citons un passage à la fois sidérant et effrayant : « Diverses études américaines l’ont montré : aucune autre société au monde n’a autant soutenu le président américain (Mr Trump) depuis son élection que la société juive israélienne. Ce n’est pas dû au hasard, car le culte de la force lui est quasi constitutif depuis son émergence. Un exemple en est illustratif. Un verset de la Bible veut que ce qui ne s’obtient « ni par la puissance ni par la force s’obtient par l’esprit » (Zacharie,IV,6). Le sens biblique est que l’esprit est celui de l’Eternel. Mais la phrase résume aujourd’hui, en hébreu moderne, l’idée que ce qui ne s’obtient pas par la force s’obtient par l’intelligence. Cependant, la sagesse populaire israélienne a transformé le verset du prophète en un dicton très connu et plus radical (à défaut d’être intelligent) : « Ce qui ne s’obtient pas par la force s’obtient en usant de plus de force. » Tout est dit: la force et rien que la force.
Assumant la Nakba (catastrophe que subissent les Palestiniens depuis 1948) mais niant leur responsabilité, les sionistes se placent au-dessus de toute loi autre que celle qu’ils ont bâtie par la force et qu’ils imposent au monde entier en créant des faits accomplis que personne ne remet réellement en cause. En Palestine la loi de la jungle prévaut avec la bénédiction et la complicité du monde qui s’autoproclame civilisé. Heureusement quelques voix s’indignent de l’intérieur même d’Israël et dénoncent enfin les abus de cet Etat qui continue d’user de l’oxymore « démocratie juive »pour se qualifier abusivement. L’ONG israélienne B’Tselem (la plus importante association qui se bat pour préserver les droits humains dans son pays) a osé émettre un rapport circonstancié dénonçant l’apartheid pratiqué par l’Etat israélien. Cet exemple qui fait grand bruit devrait être largement suivi pour en espérer mettre fin à cette injustice inacceptable et injurieuse en Palestine.
H.Mokrani, 08.02.2021
Bibliographie succincte
- UNRWA
- Victimes : Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, Benny Morris, Editions Complexes-IHTP CNRS ; The birth of the Palestinian Refugees Problem, 1947-49
- L’Etat d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel, Editions La Découverte, 2020