« L’histoire devrait passer aux aveux » (Michelet)
La Déclaration Balfour (D.B.), est le document historique par lequel l’empire britannique, le plus puissant des empires de cette époque, s’engage, en 1917, à fournir au mouvement sioniste, un « foyer national pour le peuple Juif en Palestine ».
Ce document va constituer le prélude à la tragédie des Palestiniens qui, ignorés, n’ont pas été consultés alors que cette promesse concerne la terre sur laquelle ils vivent depuis des millénaires.
Pourtant, le principe du droit des peuples à l’autodétermination figurant parmi les 14 points énoncés par W.Wilson, président des Etats Unis vient d’être consigné dans la charte de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU. Le mot célèbre du philosophe allemand Nietzsche : « Dieu est mort », caractérise bien cette situation où des hommes, imbus de leur puissance, vont bafouer le système de valeurs qui régit leur existence en lui donnant un sens, afin de faire aboutir leur ambition démesurée de conquête et de domination.
Ainsi, par simple déclaration d’un tiers, le droit universellement reconnu qui permet à une population de vivre sur la terre de ses ancêtres qu’il occupe et exploite depuis des millénaires, est bafoué, nié au profit d’un autre groupe humain lequel, au nom d’un récit mythique, se proclame héritier de cette même terre d’où il aurait été expulsé, il y a deux mille ans. Arthur Koestler le résumera ainsi : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième … »
« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième … »
Arthur Koestler
Cette intervention des Britanniques va entrainer des bouleversements, des drames, des affrontements, des guerres qui condamnent les Palestiniens à vivre, encore en 2020, dans des camps de réfugiés et sous le joug colonialiste des sionistes.
Qu’est-ce qui a rendu possible un engagement aussi compromettant de la Grande Bretagne ?
Une autre vérité historique
L’empire britannique avait-il tant besoin d’un allié sûr pour surveiller la route des Indes, le canal de Suez, cette voie vitale pour leur commerce colonial, comme le prétendent ses partisans qui tentent d’expliquer l’inexplicable comportement de cet empire ? Certainement pas puisque les Britanniques occupaient à ce moment-là l’Egypte où se trouve ce fameux canal et y entretenaient une armée puissante.
Les Britanniques avaient-ils besoin d’un Etat qui leur serait redevable pour surveiller un territoire proche, à savoir la Mésopotamie qui comprend l’Irak, riche en pétrole devenu vital pour leurs forces navales, nouvellement converties au moteur Diesel pour assumer la continuité de leur suprématie sur les mers ? Certainement pas puisque les Arabes, leurs alliés, soumis et dépendants de leur aide financière et militaire, allaient les aider à combattre l’empire ottoman qui, vaincu sera dépecé entre les vainqueurs.
Tous ces arguments prétendument rationnels énoncés par les analyses historiques durant plus d’un siècle pour justifier le don de la Palestine aux sionistes en 1917, forment un voile opaque qui cache une toute autre vérité historique dont les témoignages n’apparaissent que dans des écrits spécialisés, hors de portée du grand public mais destinés à une élite autoproclamée.
L’un des premiers indices, remettant en cause cette vaste usurpation de la vérité sur le pourquoi et le comment de l’élaboration de la D.B., apparait dans un livre relatant l’histoire des négociations du Traité de Versailles qui clôt la première guerre mondiale.
Dans le volume 6 p.173 de cette « Histoire de la Conférence de la Paix à Paris », le professeur H.M.V. Temperley écrit : « La Déclaration Balfour était un contrat définitif entre le gouvernement britannique et les Juifs ».
« La Déclaration Balfour était un contrat définitif entre le gouvernement britannique et les Juifs »
H.M.V. Temperley
Or, dans tout contrat, les deux parties échangent, en principe, un tribut jugé de valeur équivalente. Celui des Britanniques aux sionistes est explicite : « un foyer national en Palestine ». Celui des sionistes aux britanniques n’est pas mentionné.
Pour obtenir de la plus grande puissance mondiale, un territoire où vivent majoritairement les Palestiniens musulmans chrétiens et juifs, les sionistes devaient en payer le prix. C’est ce prix, rarement évoqué directement depuis la divulgation de la D.B., qui reste à découvrir !
Le prix d’un foyer national en Palestine
Samuel Landman , dirigeant sioniste londonien, proche de Chaïm Weizman, publie en 1936, une brochure où il explique comment le gouvernement britannique et les sionistes ont abouti à la D.B.
Il affirme notamment que « la seule façon d’inciter le Président Américain à s’impliquer dans la guerre était d’assurer la coopération des Juifs sionistes, en leur promettant la Palestine et ainsi d’obtenir et de mobiliser les puissantes forces insoupçonnées des Juifs d’Amérique et d’ailleurs, au service des alliés sur la base d’un contrat de réciprocité » (1). Dans sa brochure, Landman révèle le rôle joué par James Aratoon Malcolm, d’origine arménienne, qui a été le véritable initiateur auprès de Mark Sykes, le sous-secrétaire du Conseil de guerre britannique, de l’idée de faire appel aux sionistes pour entrainer les USA dans la guerre pour soutenir les alliés contre l’Allemagne. Cela se passe fin 1916 lorsque les Alliés se trouvaient dans une situation désespérée, à bout de ressources et avaient un besoin urgent d’aide que seuls les USA étaient en mesure de leur fournir.
J.A. Malcolm a écrit un texte en 1944, remis au British Museum dans lequel il décrit avec précision comment, à Londres, les dirigeants sionistes et le Cabinet de guerre sont parvenus à un accord tacite : les sionistes d’Angleterre s’engageaient à mobiliser les sionistes américains, alors dirigés par le juge à la Cour Suprême Louis Brandeis, ami intime et conseiller du Président W.Wilson, pour les gagner à la cause des alliés et inciter ainsi le gouvernement américain à les aider dans leur effort de guerre contre l’Allemagne. En retour, les sionistes recevaient l’assurance du gouvernement britannique qu’il les aiderait à obtenir la Palestine.
Ce récit (2) est fascinant car il remet en cause les fondements de la D.B. tels qu’ils sont habituellement présentés.
La participation de J.A.Malcolm est bien sûr controversée, remise en cause et surtout niée par les sionistes qui y voient une preuve de machination. Par exemple, Chaïm Weizman, premier président d’Israël, n’y fait pas allusion dans ses mémoires ! Philippe Simonot, dans « Le siècle Balfour, 1917-2017 » traite avec ironie l’écrit de Samuel Landman en le qualifiant de « complotiste » tout en occultant complètement mais peut-être par ignorance, l’activisme pro-sioniste de J.A.Malcolm.
Pourtant, l’action de ce dernier a reçu une confirmation irréfutable de la part du biographe officiel de Lloyd George, premier ministre du Royaume Uni en 1917, Malcolm Thomson.
Ce dernier, dénonce, dans deux lettres, adressées au journal londonien de référence « The Times » parues le 22.07.1949 et le 02.11.1949, le fait que Chaïm Weizman, dans ses mémoires, a oublié ou occulté l’intervention primordiale de J.A.Malcolm (6). Ces deux lettres sont d’une valeur historique incontestable étant donnée l’importance des faits rapportés qui vont ouvrir la voie à la création de l’Etat sioniste israélien.
Les sceptiques qui mettent en doute ces faits devraient se référer à la thèse éditée par l’Université Brandeis aux Etats Unis et qui a pour titre : « L’Activisme sioniste de J.A.Malcolm » (3).
Afin de réfuter définitivement les accusations de « complot » si ce n’est d’antisémitisme qui tendent à camoufler les méthodes que les sionistes ont utilisées pour s’accaparer de la Palestine, rappelons ce que David Ben Gourion a écrit en 1939 : « L’Amérique a joué un rôle décisif durant la première guerre mondiale et les Juifs Américains ont une considérable part dans la réalisation de la Déclaration Balfour » (4).
L’épisode Gibraltar
Lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts primordiaux et d’atteindre l’objectif principal fixé par leur idéologie, s’accaparer de la Palestine, les sionistes n’hésitent pas à user de leur influence quasi illicitement… comme le montre l’épisode « Gibraltar », très peu rapporté et pratiquement inconnu.
En Juin 1917, le président W.Wilson confie à l’ancien ambassadeur américain en Turquie, Morgenthau, juif et non sioniste, une mission secrète pour tenter de faire conclure une paix séparée à ce pays et le détacher ainsi de son allié, l’Allemagne. Le juge Brandeis, de la cour suprême, l’apprend et en avertit Chaïm Weizman tout en réussissant à associer le juge Félix Frankfurter à cette mission. Rappelons que ces deux juges faisaient partie encore des dirigeants sionistes aux USA, clandestinement car depuis leur nomination, ils auraient dû quitter toute activité politique. Chaïm Weizman se rend immédiatement compte du danger, pour le mouvement sioniste, de cette démarche pour la paix : si la Turquie signe une paix séparée, la Palestine ne pourra être revendiquée par la Grande Bretagne comme part du butin de dépeçage de l’empire ottoman et ne pourra donc pas signer de déclaration qui lui octroie ce territoire. Chaïm Weizman en discute avec J. Balfour. Celui-ci ne peut intervenir directement, sans prendre le risque d’un incident diplomatique entre le gouvernement britannique et les Américains. En effet, il risquerait de froisser les Américains, devenus leur allié, depuis leur entrée en guerre, en Avril 1917, car Wilson tient particulièrement à cette négociation séparée avec les ottomans, pour juguler le massacre des Arméniens chrétiens par les Turcs.
C’est donc Chaïm Weizman qui est chargé d’intercepter à Gibraltar, Morgenthau, en route pour le Proche Orient et le dissuader d’accomplir sa mission. Habile et diplomate efficace, C. Weizman réussit à convaincre Morgenthau de ne pas aller jusqu’au bout de la mission que lui a confié son gouvernement.
Cet épisode historique qui se déroule, le 04. 07.2017 est rapporté par William Yale dans un article en Anglais, intitulé « Ambassador Henry Morgenthau’s special mission of 1917 ». Il y relate ce que lui apprend C. Weizman, lors d’une traversée commune de la Méditerranée en 1920, à savoir que pour décider Morgenthau à abandonner sa mission, il l’avait « menacé au nom de l’Organisation sioniste car le plan de cette mission était contraire à celui des sionistes ». Ainsi, comme le souligne Yale, trois personnes car Weizman était accompagné par Weyl, un sioniste français, ont réussi à faire échouer une mission spéciale de paix du gouvernement américain.
Par cette intervention, le sionisme démontrait comment et combien il peut influencer la politique étrangère d’un Etat. Ce prélude prémonitoire annonce l’ère des lobbies pro-israéliens dont la puissance et la nuisance ne sont plus à démontrer (5).
Habib MOKRANI, 08. 05. 2020
Références:
- Great Britain, the Jews and Palestine, By Samuel Landman, first published by the New Zionist Press, 1936
- Origins of the Balfour Declaration, Dr Weizman’s Contribution
- Halabian Martin H.( 1962) : The Zionism of James A. Malcolm, Armenian patriot ; Msc Other Thesis, Brandeis University, Dpt of Near Eastern and Judaic Studies
- Cité par Alison Weir dans son remarquable livre « Against our Better Judgment. The hidden history of how the US was used to create Israël ».
- LE LOBBY PRO-ISRAELIEN ET LA POLITIQUE ÈTRANGÈRE AMÈRICAINE, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt
- Traduction de la lettre de Malcolm Thomson (biographe de Lloyd George, Premier Ministre Britannique en 1917) au Times de Londres, le 02.11.1949
LA DECLARATION BALFOUR
A l’Editeur du Times
Monsieur,
La promulgation de la Déclaration Balfour par le Cabinet de Mr Lloyd George en Novembre 1917, a été un remarquable évènement dans l’histoire du monde, car il a ouvert la voie pour l’établissement du nouvel Etat d’Israël. Ce trente-deuxième anniversaire de cette déclaration semble une bonne occasion pour traiter brièvement de certains faits liés à son origine qui ont fait l’objet récemment d’enregistrement incorrect. Lorsque j’ai écrit la biographie officielle de Lloyd George, j’ai eu l’occasion d’étudier des documents originaux relatifs à cette question. De ces documents, il apparaissait clairement que, bien que certains membres du Cabinet de 1916 et 1917 éprouvaient de la sympathie pour les aspirations sionistes, les efforts des dirigeants sionistes pour obtenir une promesse ou le soutien du Gouvernement Britannique s’étaient avérés plutôt sans effet, et l’accord secret Sykes-Picot avec les Français pour le partage des sphères d’influence au Moyen-Orient semblait remettre en question les objectifs sionistes. Pourtant, un changement d’attitude était en train de se produire porté par l’initiative de Mr. James A. Malcolm qui avait exposé à son Excellence Mark Sykes, alors Sous-secrétaire du Cabinet de guerre, la thèse qu’une offre des alliés pour rendre la Palestine aux Juifs ferait basculer, des Allemands vers le côté allié, l’influence très puissante des Juifs Américains y inclus le Juge Brandeis, l’ami et conseiller du Président Wilson. Sykes était intéressé et à sa demande, Malcolm lui présenta le Dr. Weizmann et les autres dirigeants sionistes. Les négociations s’ouvrirent pour aboutir à la Déclaration Balfour.
Ces faits, à un moment ou à un autre, ont été mentionnés dans de nombreux livres et articles. Ils ont été publiés par le Dr. Adolf Boehm dan sa monumentale histoire du Sionisme, « Die Zionistische Bewegung », Vol.1.p. 656. C’est pourquoi, j’ai été très surpris de découvrir dans l’autobiographie du Dr. Weizmann « Trial and Error », qu’il n’avait fait aucune mention de l’intervention crucialement importante de Mr. Malcolm. Il va même attribuer sa présentation à Mark Sykes au feu Dr Gaster. Comme les futurs historiens pourraient anormalement ne pas supposer que l’attitude du Dr. Weizmann est authentique, j’ai contacté Mr. Malcolm qui a confirmé ce que j’ai rapporté, et que d’autre part , il possédait une lettre que le Dr. Weizmann lui avait écrit le 5 Mars 1941 pour lui dire : « Vous serez intéressé de savoir qui’l y a quelques temps, j’ai eu l’occasion d’écrire à Mr Lloyd George en ce qui concerne votre initiative utile et opportune en 1916 qui a lancé les négociations entre moi-même, mes collègues sionistes et son Excellence Mark Sykes et d’autres au sujet de la Palestine et du soutien de la cause des alliés en Amérique et autre part ».
Il n’y a pas de doute que des motifs complexes ont conditionné la Déclaration Balfour incluant des considérations stratégiques et diplomatiques et aussi de la part de Balfour, Lloyd George et Smuts une véritable sympathie pour les buts sionistes. Mais, le facteur déterminant a été l’intervention de Mr. Malcolm dont l’arrangement par une telle concession entrainait le soutien des sionistes américains à la cause des Alliés pendant la première guerre mondiale.
MALCOLM THOMSON, Hampstead