«L’histoire devrait passer aux aveux» (Michelet)
Texte paru dans le bulletin de Solidarité sans frontières en mars 2018. Mis à jour le 30.12.2020
Sans un bref rappel historique, la situation des réfugiés Palestiniens ne peut être comprise, tant elle est complexe. Depuis le 29 Novembre 1947 (date du vote par l’ONU du partage de la Palestine sous mandat Britannique) jusqu’à l’armistice entre Israël et les pays Arabes voisins en Juillet 1949, quelque 750’000 Palestiniens ont quitté la terre sur laquelle ils vivaient depuis des siècles et se sont répartis comme suit :
280’000 en Cisjordanie, 70’000 en Transjordanie, 190’000 dans la bande de Gaza, 100’000 au Liban, 75’000 en Syrie, 7000 en Egypte et 4000 en Irak. Sans aucun moyen de subsistance, ils vont être installés dans des camps qu’ils occupent encore aujourd’hui. Pour faire face à cette catastrophe (que les Palestiniens nomment la NAKBA), l’ONU crée en Novembre 1949 l’UNRWA, l’organisme qui devra fournir et coordonner les aides d’urgence aux seuls réfugiés palestiniens. Ceux-ci sont alors persuadés que leur séjour forcé à l’étranger ne va pas durer et qu’ils pourront rejoindre leurs foyers dés que les hostilités entre Israël et ses voisins Arabes auront pris fin. Pour faciliter ce retour, l’ONU a adopté, le 11 Décembre 1948, la résolution 194 qui stipule : « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible ». L’Etat israélien va opposer une fin de non recevoir à ce retour, arguant que les Palestiniens avaient abandonné leurs terres et leurs domiciles volontairement. Ce mythe du départ volontaire va être dénoncé et démoli par les ‘nouveaux historiens’ Israéliens (Benny Morris, Ilan Pappé, Avi Shlaim, Tom Segev…). Ils vont démontrer, en se fondant essentiellement sur les archives de l’Etat israélien, que les Palestiniens ont été poussés à l’exil par la force et la terreur exercées par les milices sionistes et qu’un plan de nettoyage ethnique (Dahlet) avait bien été mis en place et exécuté systématiquement. Ainsi, plus de 500 villages palestiniens ont été détruits et/ou vidés de leurs habitants pendant la période 1947/48. Le témoignage de Jacques de Reynier, le premier représentant Suisse du CICR à Jérusalem est édifiant ; il écrit, dans son livre « A Jérusalem, un drapeau flottait… », à propos du massacre perpétré par l’Irgoun dans le village de Deir Yassine : « Il y avait 400 personnes dans ce village, une cinquantaine se sont enfuies, trois sont encore vivantes, tout le reste a été massacré sciemment, volontairement car, je l’ai constaté, cette troupe est admirablement disciplinée et n’agit que sur ordre ».
Les réfugiés Palestiniens, aujourd’hui
La NAKBA continue ! Dans 58 camps, vivent 5’629’829 réfugiés palestiniens enregistrés en 2020 par l’UNRWA qui considère qu’un « réfugié palestinien » est « une personne (y compris ses descendants) qui a eu sa résidence normale en Palestine pendant deux ans au moins, avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d’existence et a trouvé refuge en 1948 dans l’un des pays où l’UNRWA assure ses secours ». Considérés comme étant différents des autres réfugiés gérés par le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) qui leur assure une protection juridique internationale, les réfugiés palestiniens sont soumis à la juridiction de chaque pays d’accueil. Par contre leur statut spécifique conforte leur identité et leur droit au retour.
Selon la comptabilité de l’UNRWA, 2’272’411 réfugiés palestiniens vivent actuellement en Jordanie, 1’460’315 dans la bande de Gaza, 858’758 en Cisjordanie, 562’312 en Syrie, 476’033 au Liban. Cette agence de l’ONU, dotée d’un budget annuel de 1,9 Mia $, vient en aide à cette population qui vit dans des conditions d’extrême pauvreté dans des logements précaires. Elle intervient dans le domaine de la santé (137 centres de santé ont été créés), de l’éducation (711 écoles sont fréquentées par 0,54 Millions d’élèves), des services sociaux (300’000 personnes sur 1,2 Millions en situation de pauvreté absolue sont prises en charge), de l’infrastructure (reconstruction des logements détruits), de la microfinance (prêts pour créer une économie durable), des urgences (crise syrienne, situation à Gaza qui est une véritable « prison à ciel ouvert » à cause du blocus israélien).
Les réfugiés palestiniens doivent se conformer à la règlementation de chacun des pays ou ils demeurent et sont soumis aux conditions de vie aléatoires de ces territoires :
- Palestine : les réfugiés représentent 40% de la population et parmi eux, 32% sont au chômage ; suite aux offensives israéliennes, 142’000 maisons de réfugiés ont été endommagées en été 2014; en Juin 2016, seules 67’000 familles ont reçu des aides d’urgence pour reconstruire leur logement
- Jordanie : les Palestiniens représentent 60% de la population et disposent des mêmes droits que les Jordaniens ; ils sont nombreux à avoir opté pour la nationalité jordanienne ; cependant, les 100’000 réfugiés venus de Gaza après la guerre de 1967 ne bénéficient toujours pas de ces avantages ; d’autre part les autorités locales ont refusé l’entrée des réfugiés palestiniens qui fuyaient les combats violents de Syrie alors que les réfugiés syriens étaient acceptés
- Liban : constituant 10% de la population du pays, les réfugiés Palestiniens sont tolérés en tant que « résidents temporaires ». Ils y vivent dans des camps sous étroite surveillance sans pouvoir acquérir des biens fonciers et interdits d’exercer une vingtaine de professions libérales, pour la plupart
- Syrie : bénéficiant de plus de droits qu’au Liban (les droits sociaux par exemple), les réfugiés palestiniens subissent de nouveau la migration forcée provoquée par la guerre qui sévit dans ce pays ; jusqu’en 2016, 339’000 réfugiés ont été déplacés à l’intérieur ou hors de Syrie et se retrouvent sans statut légal dans les pays hôtes. Ceux qui demeurent en Syrie y vivent dans des conditions déplorables et 430’000 d’entre eux nécessitent une aide humanitaire (nourriture, soins…).
La diaspora palestinienne
Les réfugiés officiellement dénombrés par l’UNRWA ne constituent pas la totalité de la communauté palestinienne issue de l’exode de 1948 qui est estimée, par le PCBS (Bureau Central Palestinien des statistiques) à 12 Millions de personnes en 2016 .Ce nombre comprend les Arabes-Israéliens qui proviennent des quelque 160’000 Palestiniens ayant pu rester sur leur territoire après avoir été déplacés en perdant tous leurs biens fonciers ; le CBS (le Bureau Central des Statistiques d’Israël) évalue leur nombre à 1,808 Million en 2017.
En Palestine (Cisjordanie et Gaza) résident 4,6 Millions de Palestiniens, 5 Millions dans les pays arabes,675’000 dans les autres pays dont 200’000 en Europe.
La Suisse et les réfugiés palestiniens
Prés de1500 Palestiniens d’origine vivraient en Suisse (expatriés, apatrides, naturalisés…). Par contre la Suisse apporte une aide conséquente aux réfugiés palestiniens. Par un communiqué de presse du 18 Novembre 2020, le Conseil fédéral a annoncé que la Suisse maintenait son aide en faveur des réfugiés de Palestine pour les années 2021 à 2022 : la contribution au budget de l’UNRWA est de 20 Millions de Francs par an environ; elle est destinée à l’éducation, à la protection de la santé et aux prestations sociales de ces réfugiés.
En avril 2014, le Suisse Pierre Krähenbühl a été nommé commissaire général de l’UNRWA ; il a dirigé au sein de cette agence un processus de réforme structurelle afin de mener à bien sa mission de maintien de la stabilité dans la région.
Le Devenir des réfugiés palestiniens
Le gouvernement des USA a annoncé récemment qu’il supprimait sa contribution (300 Millions $) au budget de L’UNRWA ; voilà de quoi accentuer la misère et la détresse dans les camps en Palestine. Le Commissaire général va s’organiser pour trouver les fonds nécessaires à la continuation du fonctionnement de son institution. Cette réussite va provoquer l’ire du gouvernement américain ! Soumis à des critiques acerbes, Mr Krähenbühl démissionne de son poste en 2019. Une enquête de l’ONU va l’innocenter de toutes les dénonciations qu’il a subies mais le rapport relatif à cette enquête n’est toujours pas rendu public. Depuis une année, Philippe Lazzarini, d’origine suisse, le remplace.
Ce survol de la situation des réfugiés palestiniens ne donne qu’un aperçu imparfait et incomplet de la souffrance et de la maltraitance endurées par cette population depuis 72 ans ; durant toutes ces années, trois générations de plusieurs millions d’êtres humains ont vécu dans des camps insalubres, sans aucun espoir d’apercevoir la fin de leur déchéance. Certes ils reçoivent quelques aides pour pouvoir survivre mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de leur misère. Leurs enfants sont destinés à naître, à vivre et à mourir dans ces camps ou règne l’indignité. Tout cela sous le regard d’un monde compatissant mais qui fait si peu pour que cela cesse. L’impéritie de l’ONU est flagrante et scandaleuse : toutes les résolutions votées pour sortir les réfugiés de cette ornière mortifère sont restées lettre morte… Pris en tenaille entre le refus israélien de mettre fin à leur calvaire et leur rêve tenace de retourner vivre sur la terre de leurs ancêtres, ils croupissent dans des camps sans aucun espoir d’une vie normale dans un futur proche. C’est ce que le premier Premier ministre d’Israël, David Ben Gourion, avait prédit et allait réaliser, lorsqu’il écrit dans son journal le 18 juillet 1948 : « Nous ferons tout pour nous assurer qu’ils (les Palestiniens) ne reviendront pas ».Face à ce déni du droit à vivre sur la terre qui nous a vu naître, le monde civilisé a renoncé à rendre justice comme pour confirmer l’affirmation d’Albert Camus en 1958 : « Cet esprit d’équité, il est vrai, semble étranger à la réalité de notre histoire où les rapports de force définissent une autre sorte de justice ; dans notre société internationale, il n’est de bonne morale que nucléaire. Le seul coupable est alors le vaincu ».
Il est vrai que le problème des réfugiés palestiniens a reçu très peu d’échos dans la presse de grande diffusion, nationale ou internationale. Une sorte d’omerta, de loi du silence, a empêché que le grand public en soit informé. L’histoire de Dorothy Thompson illustre bien cet état de fait. Célèbre journaliste américaine, elle a été réduite au silence après ses reportages, à la fin des années quarante, sur les camps de réfugiés palestiniens. Peut-être, les moyens modernes de communication permettront-ils de répandre à grande échelle la vérité sur cet épineux problème et ainsi le résoudre, sous la pression de l’opinion publique indignée.
H.Mokrani, 30.12.2020
Bonjour
article très intéressant surtout pour les personnes qui jugent sans connaître l histoire de ce peuple résistant.